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Interview de Mme la Sénatrice Nicole Borvo Cohen-Seat (PC)

Le Sénat a longtemps incarné le lieu de résistance aux droits des femmes, en s’opposant notamment à plusieurs reprises aux droits de vote des femmes. Jusqu’en 2011, il a toujours été dominé par la droite, camp qui ne s’est jamais montré le plus progressiste en matière d’égalité femme/homme. Aujourd’hui, il est très loin de la parité et est encore majoritairement dominé par des hommes. Lors de son renouvellement en 2011, on a même enregistré un recul du nombre d’élues par rapport au précédent Sénat avec 22% de femmes (23,5% en 2008), soit 77 sur 348. A l’heure où il examine le nouveau projet de loi sur le harcèlement sexuel, il serait utile de se questionner sur les impacts qu’engendre la non représentativité de la société française au sein du Sénat.

La sénatrice Nicole Borvo Cohen-Seat, Présidente du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que Vice-Présidente de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois est l’unique femme présidente de groupe en France (tant à l’Assemblée Nationale qu’au Sénat). Dans une interview sans détour, elle nous donne son diagnostic quant à la place des femmes au Sénat et plus largement dans la vie politique française.

Quels sont selon vous les freins qui empêchent le respect de la parité ?

Cette fois-ci à l’Assemblée Nationale on arrive à des taux de féminisation qui sont faibles : 28% depuis les dernières élections et 22 % au Sénat. On a même régressé au Sénat. De façon générale, on arrive à une position assez lointaine en Europe, et ce, malgré la loi sur la parité. C’est d’ailleurs une originalité française d’avoir constitutionalisé la parité pour assurer l’égal accès aux femmes et aux hommes aux fonctions électives. Mais en réalité, il y a une résistance très forte au sein de la société française. Après, on peut dire que la France est un vieux pays catholique, patriarcal… mais l’Espagne aussi. Je crois qu’il y a une spécificité de la politique en France : qui est considérée comme quelque chose de très valorisant. La spécificité française c’est que la politique est quelque chose d’extrêmement important avec une notion de carrière politique, donc forcément plutôt réservée aux hommes… Ce qui n’est pas le cas dans d’autres pays européens où la politique à une place plus modeste dans la hiérarchie sociale, valorisant plus les pouvoirs économiques.

Après, il y a d’autres raisons, plus internes à la politique. On est le pays où le cumul des mandats est le plus important : 80 % des parlementaires cumulent des fonctions de parlementaire, élu local, président de région, président de conseils généraux, etc.… Fonctions où les mandats sont très longs. Le cumul des mandats et le non renouvellement favorise le maintien des personnes en place. Donc, dans la mesure où les personnes en place sont plus des hommes que des femmes, l’accaparement du pouvoir par les hommes se perpétue largement. Ensuite, le mode de scrutin compte pour beaucoup : puisque, si le Sénat s’est trouvé à un moment donné avoir plus de femmes que d’hommes à l’Assemblée Nationale, c’est uniquement à cause du mode de scrutin – qui depuis la loi sur la parité oblige à avoir des listes paritaires. La gauche avait abaissé la proportionnelle aux départements présentant non plus 4 mais 3 sénateurs, ce qui avait permis l’élection de nombreuses femmes. Par conséquent, à cette époque le Sénat était en avance par rapport à l’Assemblée. Toutefois, la droite a souvent contourné l’obligation de parité en présentant plusieurs listes visant à faire élire le premier, qui était toujours un homme.

En outre, dans la population c’est ambigu : majoritairement, les gens disent toujours qu’ils sont pour qu’il y ait des femmes en politique et la plupart des enquêtes manifestent qu’ils veulent plus de femmes en politique. Mais c’est plus ambigu… Avoir une femme présidente de la République n’est pas totalement admis. Quand on a eu Edith Cresson Premier Ministre, le fait que ça soit une femme était l’objet de critiques beaucoup plus acerbes que pour un homme. Je me rappelle des premières ministres femmes qui montaient à la tribune : on regardait surtout comment elles s’étaient habillées, si elles étaient moches, etc.… Je me rappelle d’une secrétaire d’état au budget entre 97 et 2002 qui était enceinte au moment où elle a défendu un budget de l’année 2000, on entendait des remarques ahurissantes : « Qu’est-ce qu’elle fout là au lieu de s’occuper de son accouchement ? ». Pourtant les enquêtes d’opinions mises en avant par les féministes montrent que les gens ne sont pas du tout hostiles à ce qu’il ait des femmes en politique. Mais jusqu’à un certain point : il y a un plafond de verre en politique qui empêche les femmes à accéder à certaines fonctions.

Comment expliquer ces obstacles que rencontrent les femmes ? Comment pourrait-on changer ces mentalités ?

Le problème est la grande division entre les sexes : l’idée que l’homme est à l’extérieur et se valorise à l’extérieur et que la femme est à l’intérieur et se valorise à l’intérieur. Paradoxalement, on est le pays où les femmes travaillent le plus. Donc ça veut dire qu’elles sont sorties de l’entretien de la maison et des enfants depuis longtemps en France, contrairement à d’autres pays comme l’Allemagne ou la Grande Bretagne. Il y a là aussi un paradoxe français : les femmes continuent à intérioriser que leur place et leur valorisation n’est pas à l’extérieur de la maison mais plutôt à l’intérieur : réussir à bien élever les enfants, etc… Ça reste profondément ancré dans les mentalités. L’éducation scolaire et familiale joue un rôle très important car ces obstacles sont des questions qui relèvent de l’éducation des enfants et ce dès la crèche. La séparation des petits garçons et les petites filles dès la naissance les amènent à reproduire ces inégalités. On pourrait regarder de plus près le système éducatif des pays nordiques qui ont réussi la parité depuis longtemps et qui sont pourtant des démocraties occidentales comme les autres.

Le rôle du Sénat (outre celui de contrôle du gouvernement et d’action législative) est d’assurer la représentation des collectivités territoriales. Pensez-vous qu’il remplisse véritablement ce rôle ?

Le mode de scrutin sénatorial est tout sauf démocratique, puisqu’il surreprésente les territoires peu peuplés par rapport aux territoires peuplés. Et il surreprésente aussi les territoires ruraux qui envoient très peu de femmes (NB : élus au suffrage universel indirect, 53% des sénateurs sont issus de communes de moins de 3 500 habitants, alors qu’elles ne représentent que 33% de la population française. De plus, il n’y a pas d’obligation de parité pour les communes de moins de 3 500 habitants, ainsi la parité n’y est pas respectée).

De plus, les conseillers généraux qui élisent les sénateurs (NB : en plus des conseillers régionaux, des députés et des délégués des conseils municipaux) sont issus d’élections où les femmes sont les moins représentées. Les femmes sont représentées à peu près à égalité dans les municipalités urbaines : car composées de plus de 3 500 habitants : la proportionnelle les oblige à la parité. Donc, ce qui permet la représentation des femmes en politique, c’est avant tout la proportionnelle au niveau des élus. Mais après, on entre dans le plafond de verre : une fois qu’elles sont élues conseillères municipales ou régionales, les femmes n’atteignent pas les fonctions de président… On considère que seuls les hommes peuvent l’être. Ainsi, on observe qu’une fois que les élus sont à parité, cela ne suffit pas pour que les femmes président des collectivités.

Au Sénat, y a-t-il une réelle volonté de combattre les inégalités femmes-hommes ?

Personne n’ose aujourd’hui dire publiquement qu’il est contre l’égalité femme-homme, sauf qu’à chaque fois qu’on traite de sujets qui s’y rapportent, on voit qu’il y a des obstacles. Prenons deux sujets différents : concernant les violences dans les couples, qui, majoritairement, proviennent des hommes à l’égard des femmes. Ici, on a discuté de la loi et j’ai constaté que beaucoup d’hommes de l’ancienne majorité – de l’UMP pour la citer, étaient très réticents à ce qu’on pénalise les violences à l’égard des femmes de façons spécifiques. Pour eux, c’étaient des violences comme les autres. Les violences à l’intérieur des couples étaient des problèmes de couples, relevant de la sphère privée. C’est-à-dire qu’au fond, il y avait une responsabilité partagée : la violence était l’expression de problème de couples. Ils étaient donc très réticents à produire du droit spécifique pour enrayer les violences à l’égard des femmes et pour les pénaliser de façons spécifiques. Il y a une culture masculine foncièrement machiste qui s’exprime de façon particulièrement ouverte. Concernant l’égalité salariale, personne n’est ouvertement contre. On a eu d’ailleurs beaucoup de lois, mais ça n’avance pas. Parce qu’au fond, quand on débat de cette question, beaucoup d’hommes considèrent qu’au vu de l’ampleur du chômage, le salaire des femmes est un supplément de salaire qui s’ajoute à celui du chef de famille, qui est un homme. Le salaire des femmes est donc perçu comme un salaire subsidiaire.

L’égalité en nombre dans les instances politiques joue-t-il un rôle important dans les assemblées ?

L’égalité en nombre joue un rôle très important. Lorsque j’ai commencé ma vie de parlementaire (NB : en 1995), il y avait au Sénat 18 femmes au total (dont 12 de gauche) sur 328 à l’époque. Lorsque je me suis assise à ma place dans l’hémicycle, étant donné que je suis située à l’extrême gauche, je voyais en face de moi la droite et le centre. Il n’y avait que des costumes-cravates parce que les 6 femmes étaient perdues dans plus de 300 hommes. Le paysage a un petit peu changé. Auparavant, les femmes s’exprimaient très peu : car étant trop minoritaires. Et à droite, ils ne leur donnaient que rarement la parole, car il s’agissait souvent de femmes alibis ou potiches. Mais ça a changé. Pourquoi ? La proportionnelle a fait augmenter le nombre de femmes et le fait que leur nombre ait augmenté – même s’il est encore faible, change le paysage et permet aux femmes de plus s’exprimer.

Pensez-vous qu’une loi plus contraignante sur la parité est nécessaire ?

Oui, la question est institutionnelle : tant qu’il n’y a pas obligation de parité et qu’on peut se défausser de l’obligation par l’argent, les partis importants s’en ficheront et préféreront payer. En outre, compte-tenu de la nouvelle majorité, le sénat ne peut plus faire obstacle à une loi plus contraignante sur la parité.

Avoir un ministère des droits des Femmes est-il un bon levier ?

Il y a une chose certaine : c’est que le fait de ne pas en avoir n’a pas été bénéfique. Chaque fois qu’on a voulu faire des avancées et chaque fois qu’il y a eu la volonté politique de faire des avancées en termes d’égalité : il y a eu un ministère. Pour l’instant, je suis tout à fait satisfaite qu’il y ait un ministère des droits des femmes. Mais il faut un ministère qui ait les moyens. Un ministère qui a des moyens c’est un ministère avec des moyens financiers, un ministère qui a des services, qui fasse un travail inter-ministériel et qui ait un poids réel dans le gouvernement.

Et concernant l’observatoire de la parité dont vous êtes membre ?

Je pense qu’il faut repenser son rôle : il n’a pas d’avis contraignant, donc rien n’oblige à suivre ces avis. Tout comme les délégations aux droits des femmes : ça a été une avancée d’avoir ces délégations à l’Assemblée et au Sénat, mais elles ont très peu de pouvoirs, aucun à vrai dire. Il faut leur donner un rôle plus contraignant et ça va de pair avec la loi. Le fait qu’il y ait des organismes qui travaillent spécifiquement sur un sujet, c’est intéressant car ça permet d’avoir des spécialistes et une élaboration créatrice. Mais on a du mal à coordonner l’expertise et le politique. Il y a eu des avancées en matière d’égalité femme-homme mais c’est très lent, car il faut une volonté politique très forte, qu’il n’y a pas eu précédemment. Donc là, on peut espérer qu’on aura quelques avancées du côté du gouvernement et que ça sera plus rapide.

 Propos recueillis par Amandine Miguel, du groupe Parité de OLF!